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Architecture interactive : pour un environnement multiforme et variable…

 

Ce texte a été publié dans le livre « Pour une ar(t)chitecture subtile » aux Editions HYX.


 

Vers une architecture qui interagit avec le spectateur ?

Chaque homme dessine un espace dans chacun de ses mouvements et déplacements. On peut adjoindre cet espace au corps et définir ainsi physiquement l’être comme être sphère (Peter Sloterdijk) c’est-à-dire comme une enveloppe plus étendue comprenant l’enveloppe charnelle à laquelle s’ajoute une certaine quantité d’espace autour. Cette notion peut être perçue comme un prolongement du dasein Heideggérien, l’homme n’est plus un corps sur la terre… mais ‘une bulle de l’écume’…. Les limites conceptuelles de son corps s’élargissent, en effet sans cette nouvelle quantité d’espace, difficilement définissable, qui permet à la fois la respiration (au sens étroit et large du terme) et le mouvement des membres par rapport au centre de gravité ; l’être n’est plus. Un individu se définit donc, en tant qu’être sphère, par des contours fluides. Ces contours dessinent un espace plus ou moins vaste toujours recommencé.
L’être sphère peut être considéré comme une quantité d’espace variable, avec ses mouvements intrinsèques, en mouvement dans un espace plus grand. Cet espace plus grand peut être un des éléments d’une architecture. Les deux espaces peuvent communiquer.
L’architecture peut en effet suggérer des ébauches de positionnement ou de déplacement, modifier les contours de l’enveloppe, pourquoi pas la pénétrer. Elle peut créer des rapprochements soumettre des contraintes (espace fermé puis ouvert…) : resserrement, rapprochement ou au contraire écartement avec l’autre, les autres. L’architecture peut suggérer à l’individu d’influer son ‘être-là’.

Ainsi une cathédrale agit inconsciemment sur le spectateur en étirant son enveloppe vers le ciel, en l’extrayant du bruit de la ville et en proposant un espace (lumière, forme, humidité, odeur, climat) aujourd’hui propice à la méditation. Elle symbolise pour certain le poids ou la légèreté de Dieu, l’aspiration vers le ciel.
Mais cette impression sacralisée, même si elle varie à travers les époques, reste fixe, elle n’est pas ou peu renouvelée ou modifiée à l’intérieur de l’édifice. Par ailleurs si la cathédrale agit sur l’individu pourquoi l’individu n’agirait-il pas sur la cathédrale ?

Aujourd’hui chaque personne qui le souhaite doit pouvoir vivre l’architecture c’est à dire vivre une succession d’impressions d’espaces, de climats, d’environnements, de stimulations multi sensorielles. Cet ensemble d’impressions définit un espace en mouvement. Un espace qui varie lorsque le promeneur (spectateur) se déplace ou qu’il se ‘modifie’ en tant qu’être sphère. Il n’y a plus une entité fixe l’architecture et un individu qui se meut dans cette architecture, les deux s’entrelacent se questionnent et se répondent.
L’entité architecture se modifie lorsque l’individu se déplace, elle agit sur lui plus ou moins intensément mais en permanence. L’absence d’action ne devenant qu’un cas particulier, un choix et non une obligation ou une contrainte.
La traversée d’un bâtiment ou d’un espace entraîne ainsi des modulations d’impressions. Ces modulations sont créées par la forme de l’espace à toutes les échelles et dans tous les sens (formes sonores, olfactives, tactiles, lumière…), par une modulation du nombre de dimensions1 et par l’action de ces nouvelles dimensions. Cela correspond aux possibles incorporations d’autres espaces dans l’espace (nspaces) et à leurs conséquences. Ces espaces dans l’espace sont comme des cadres offrant des vues vers un autre lieu et/ou autre temps, vers un ailleurs réel ou virtuel.

Ainsi l’architecture n’est plus une entité figée elle peut se modifier avec le spectateur sans pour autant être connecté avec son psychisme… ou suivre sa volonté.

Mais l’architecture ne doit pas uniquement agir, elle doit interagir avec le passant ou spectateur. Interagir signifie que l’architecture/environnement agit sur ‘l’être sphère’ et que ‘l’être sphère’ agit sur l’environnement/architecture.

Il faut imaginer aujourd’hui une architecture où l’nspaces se modifie en fonction de ‘l’individu sphère’ un peu à la manière d’un miroir dont l’image dépend aussi de l’entité réfléchie.
L’nspaces (d’habitation ou autre) interagit aujourd’hui avec l’individu habitant du lieu qui par sa présence modifie, donne vie et achève ainsi l’œuvre architecturale réelle. Mais elle n’interagit jamais ou presque avec l’être de passage (pour qui l’espace non approprié redevient souvent non-lieu). L’espace devrait ainsi pouvoir s’approprier le passant en dialoguant avec lui. Mais quels stimuli internes ou externes peuvent agir sur un bâtiment/environnement ou nspaces ? Et comment ce dernier peut réagir, en modifiant à son tour l’être sphère ?

Une des réponses pourrait être que l’édifice devienne fluide – à tous les niveaux –, (détenteur créateur et générateur de flux) c’est-à-dire qu’il deviendrait capable de se modifier dans le temps (la modification dans l’espace étant déjà considérée) pourquoi pas en fonction du passant2.

Imaginer une façade fluide, toujours réinventée
Imaginer une fontaine

L’architecture est un réceptacle d’espaces réels et virtuels en perpétuel mouvement…

Architecture du mouvement et parcours

Un ensemble global en mouvement ou le spectacle, pas nécessairement spectaculaire, que peut induire le déplacement du spectateur ne s’exprime pas nécessairement par un parcours.
Un parcours signifie numérotation des espaces et découverte en suivant un ordre préétabli.
(Ex : 1- la rampe
2- salle oblique hauteur = 3 x largeur = ¼ longueur…
3- volume en creux découvert dans l’espace précédent
4- escalier hélicoïdal
5- découverte d’un nouvel espace situé plus loin
6- mise en relation avec d’autres individus dans un autre bâtiment
….)

La notion de parcours peut néanmoins être actualisée ; en effet, le parcours peut à son tour être mis en mouvement c’est à dire se modifier avec le temps. Ainsi le parcours modifie l’espace dans le temps tout en se métamorphosant lui même dans ce temps (écrans vidéos, modification des liaisons entre espaces (nspaces), délier, relier…)…

Mais la notion de parcours n’est pas une condition sine qua none d’une architecture du mouvement. L’architecture et l’nspaces peuvent se modifier, éventuellement selon la localisation du spectateur, sans que ce dernier soit nécessairement tributaire d’un ordre de passage. Il est libre de découvrir les lieux comme bon lui semble.
Le promeneur-spectateur – on devrait tous être à la fois acteur et spectateur de tous les espaces – qui a toujours une entière liberté de mouvement (au mieux on lui suggère un parcours) peut n’avoir aucun renseignement sur une constitution d’un ordre de découverte. Le hasard permettant l’apparition de plus improbables parcours.

Le passage d’un espace à un autre peut s’effectuer par exemple grâce à un sas qui permet de créer une neutralité entre deux espaces qu’il serait préférable de ne pas connecter directement. Dans le cas d’une absence de parcours, la mise en place de sas d’entrée peut offrir, une neutralité favorisant le passage d’un espace à l’autre.

Une architecture dynamique n’est pas nécessairement une architecture en mouvement.
Une architecture silencieuse (sereine) peut être une architecture en mouvement – autre échelle de temps, autre atmosphère –.
Il faut à la fois placer un édifice dans un environnement et placer un environnement dans un édifice.

Vers une architecture avec son mouvement propre

Une architecture en mouvement doit également pouvoir se modifier indépendamment du déplacement du spectateur ou flâneur. Elle peut s’exprimer à travers des surfaces qui varient : écran, fumée, coulée d’eau, modulation de lumière, variation de matière…

Ce mouvement permet à toutes les échelles – et notamment à celle du flâneur dans la ville – d’offrir de l’originalité et du changement un peu comme ont su le faire certains quartiers de ville (architecture vernaculaire) où la juxtaposition des époques et des styles, la modification relativement cyclique des espaces, l’adaptation globale du quartier à la vie des habitants, permettent d’offrir au spectateur-promeneur un spectacle toujours recommencé à plus ou moins grande échelle ; cela que l’on se situe dans un quartier historique en extension ou dans des bidonvilles.
Le cœur ou centre conceptuel de la ville ne sert plus uniquement à stabiliser l’ensemble d’un système rétroactif (Nicolas Schöffer) mais est capable d’y insuffler un autre mouvement, original, nouveau et toujours réactualisé, réinventé capable de diminuer la monotonie en s’associant au temps qui passe et au temps qu’il fait.

Néanmoins, mouvement ne signifie pas mouvement permanant mais possibilité de mise en mouvement. L’absence de mouvement n’est donc pas antinomique d’une architecture du mouvement bien au contraire. Le fait d’introduire du mouvement en architecture permet par contraste de mettre en évidence l’absence totale de mouvement c’est à dire un arrêt du temps et / ou une fixation de l’espace propice à la sérénité.

L’architecture devient un opéra dans lequel le spectateur-promeneur est un des acteurs.

Exemple : l’ombre et la lumière : mouvement naturel de l’architecture

L’ombre dessine. Un dessin en mouvement perpétuel toujours différent ou presque.
Ombre et lumière offrent des variations visuelles mais aussi sensorielles (fraîcheur, chaleur…)
La variation de l’ombre est due (entre autre) au mouvement du soleil.
Ajoutons le mouvement de l’objet dont l’ombre est portée pour un espace aux couleurs et chaleurs toujours réinventées.
Ajoutons à l’objet la combinaison d’autres objets, donnons leur à tous des mouvements différents.
Additionné au mouvement du soleil et des nuages éventuels, l’espace créé devient une symphonie de lignes et de figures projetées. Ajoutons les visiteurs, observons l’opéra !

L’espace se modifie à chaque instant, il se met naturellement en mouvement…

Interaction et mouvement : expériences architecturales

Beaucoup d’études et d’expériences ont été menées à la fois concernant la notion de mouvement et d’interactivité. On peut ainsi évoquer entre autres, et la liste est loin d’être exhaustive, les machines atmosphériques de Constant, les recherche de Hans Rucker CO, Copp Himmelb(l)au, Archigramm, Cédric Price, certaines réalisations de Nox, le fog building de Fujiko Nakaya puis de Diller et Scofidio…

Mais l’interaction doit-elle passer par une écoute psychique du sujet ? L’homme doit-il être au centre du monde, au centre de l’architecture ?dans quel type d’espace peut-on ou doit-on utiliser cette écoute psychique en priorité ? Comment cette utilisation peut-elle se développer au-delà de la création de bâtiments/œuvres d’art témoins (même si ceux-ci font office de précurseur) ?

L’architecture du début du 20ème siècle inspirée par l’art cherchait à créer de toute pièce de nouveaux espaces (bâtiment, ville). La recherche était essentiellement plastique, quête d’une esthétique géométrique et/ou fonctionnelle souvent inanimée. Aujourd’hui (et depuis déjà plusieurs dizaines d’années) le désir semble être de créer des machines vivantes parfois même d’un point de vue formel avec des courants tel que le biomorphisme. Mais l’architecture peut-elle ou doit-elle se transformer en machine vivante ? Et si oui quel type de machine ?

Imaginer un bâtiment qui selon la lumière s’opacifie, qui extrait du sol, et dont chacun des éléments est aléatoirement déconstruit tout en offrant une cohérence globale
Imaginer un arbre à feuilles caduques.

L’architecte toujours en compétition avec l’architecture du vivant, de la nature ou ‘l’Architecte Dieu’ créateur des formes auxquelles il a parfois insufflé la vie.
L’architecture a appris à reproduire la nature inanimée, elle a cherché ce qui pouvait être à l’origine des formes. Elle les a simplifié à l’extrême de la pyramide aux temples grecs. Aujourd’hui l’informatique et les diverses relations entretenues avec la recherche biologique, physique ou mathématique permettent de concevoir des formes de plus en plus complexes, de plus en plus chaotiques. Mais l’architecture doit-elle pour autant chercher à imiter, à reproduire la nature ? Il nous semble que non. Doit-elle chercher à effacer la nature au profit d’espaces dessinés uniquement par la main de l’homme ? il nous semble que non également. La recherche doit aller davantage dans une discussion voire une interaction avec la nature existante que dans une imitation ou une réfutation. La nature peut être une des sources d’inspiration mais il faut chercher à faire vivre l’architecture sans chercher à en faire un organisme vivant.
« L’humanité est menacée en permanence par deux dangers : l’ordre et le désordre » (Paul Valéry) mais aussi par l’imitation et la négation…
Il semble donc intéressant d’essayer de créer des atmosphères nouvelles d’utiliser de l’interactivité non dans le but d’insuffler la vie mais dans celui de créer une nouvelle relation du construit à la fois avec l’environnement ‘extérieur’, la nature et l’homme habitant l’espace.

Espaces interactifs actuels en fonctionnement

Ne peut-on pas considérer qu’une des réalisations interactives les plus efficaces aujourd’hui est cet immense espace virtuel de l’Internet. Un territoire nouveau où les propositions de livres d’Amazon, où la publicité (utile ?!) de Google se calque à la personnalité, aux goûts, aux attentes et aux besoins de chacun. Une impulsion de l’internaute induisant automatiquement une nouvelle proposition… et ce dans un cercle sans fin que seul l’internaute décide de stopper. L’Internet offre également des lieux de rencontre, places publiques ou forums, un espace social magique qui sur certaines plateformes met en relation à l’échelle du monde des individus ‘compatibles’, aux centres d’intérêts commun. L’Internet s’adapte volontiers au profil de l’utilisateur. L’internaute est fixe et l’espace virtuel se modifie, se déplace et s’agence selon les désirs du surfeur statique qui cherche la bonne onde, la bonne vague… Cette bulle Internet agit comme un condenseur permettant d’accéder quasi instantanément à de multiples services réels. Elle raccourci à 0 les distances entre les différents territoires (sites) et s’adapte, propose, interagit avec l’internaute. Une new Babylone, même si l’individu est loin de ‘l’homo ludens’ décrit par Constant… Internet est une réalisation virtuelle, grandeur réelle d’un espace qui interagit plus ou moins avec le psychisme du passant, flâneur ou surfeur.

Alors, faut-il injecter le même type d’interactivité dans les systèmes réels à grande échelle ? Pas si sûr… Même si cela existe déjà.
Certains espaces réels peuvent être considérés comme interactifs. C’est notamment le cas de la boite de nuit. L’individu, danseur se trouve enfermé dans une boite. Cette boite contient une nuit… étoilée. C’est un espace clos en perpétuel mouvement où l’individu n’est cette fois – pour le temps de son passage – qu’un homo ludens… L’environnement se modifie : variation de lumière, de son, d’odeur, de matière (fumée, mousse…) et cette modification s’exprime en interaction avec les spectateurs danseur via le DJ, sorte de chaman, maître de la cérémonie d’une nuit. L’espace est bien interactif, il se modifie en permanence dans le temps en fonction de ce que lui renvoie la masse collective des danseurs. Les danseur ou raveurs (rêveurs…) sont à l’écoute de l’environnement (contrôlé par le DJ) et l’environnement (le DJ) est à l’écoute des danseurs. A l’intérieur de la boite l’homme (être sphère) est pleinement immergé dans un espace en mouvement, interactif. Et cela provoque des sensations, des impressions aux spectateurs, ces dernières pouvant être amplifiées par l’usage de drogues. L’espace est ludique, unique et éphémère, il procure un voyage physique et psychique en dehors de la réalité quotidienne. Cette ‘boite’ agit comme une machine atmosphérique collective. C’est un environnement dans un espace particulier, clos.
Mais faut-il injecter ce type d’interactivité dans d’autres espaces réels ?

Différentes expressions possibles de l’interactivité

Repartons du départ et sans détourner le propos, réfléchissons comment créer un autre type d’interactivité. Voyons d’abord quels sont les différents éléments susceptibles d’interagir… Nous en dénombrons 4 principalement :
l’environnement extérieur préexistant à l’implantation d’un bâtiment
Le bâtiment qui par son implantation modifie en partie l’environnement extérieur et crée un environnement intérieur (environnement créé par l’homme pour lui-même). Cet environnement intérieur est modulable et n’est plus dépendant des phénomènes extérieurs (météo…). Il protège son contenu de l’environnement extérieur (fonction première de l’architecture).
L’homme, le spectateur ou l’habitant en tant qu’individu. Cet individu étant considéré en tant qu’être sphère (enveloppe charnelle + quantité d’espace autour).
Le groupe qui n’est autre que la somme des individus en un lieu délimité à un instant donné.
[Mais aussi tous les nspaces inclus dans les environnements]

L’interactivité peut ainsi s’exprimer entre
homme et homme.
Cela peut avoir lieu dans tous types d’environnements, même à distance (téléphone portable, Internet…)
groupe et groupe.
Cela peut également avoir lieu dans tous types d’environnements, même à distance (écran vidéo, Internet…)
homme et groupe.
Idem.
homme et environnement créé par l’homme.
Cela a lieu par exemple sur le territoire de l’Internet.
groupe et environnement créé par l’homme
Cela a lieu toujours sur le territoire de l’Internet ou en boite de nuit, concert (parfois par l’intermédiaire d’un maître de cérémonie…)
homme (ou groupe) et environnement extérieur.
Ils agissent mutuellement l’un sur l’autre via par exemple la pollution (la modification par l’homme de l’environnement extérieur) et les phénomènes météorologiques plus ou moins importants quasi incontrôlables, parfois imprévisibles… (cause conséquence ?)
Environnement intérieur et environnement extérieur.
Perçu sur un laps de temps court3 (une journée), l’environnement intérieur agit de façon infinitésimale sur l’environnement extérieur notamment par l’émission de déchets. Réciproquement et compte tenu de la prolifération de ‘l’air conditionné’, l’environnement extérieur n’agit presque pas sur l’environnement intérieur (à l’exception du phénomène lumière/ombre).

Ce manque d’action de l’environnement extérieur sur l’environnement intérieur tend à uniformiser l’ensemble des environnements intérieurs à la fois dans l’espace et dans le temps. Ainsi certains lieux comme les centres commerciaux fermés, les aéroports… deviennent des espaces uniformes, attendus, des non-lieu (Marc Augé) où tout semble programmé. Le seul aléatoire provient de la rencontre quand elle est encore possible des individus les uns avec les autres…On crée des espaces uniformes adaptés à l’homme mais ils sont loin de tendre vers l’Eden décrit par Yves Klein dans son architecture de l’air. Or, à la différence de Klein et d’autres, nous ne pensons pas qu’il est souhaitable de tendre vers un idéal reproduit à l’infini, identique à lui-même. Nous pensons au contraire qu’il faut réintroduire le temps pour offrir de l’inattendu, créer différents ‘idéal’, des environnements qui seraient tous uniques variables et originaux ; des antidotes à l’uniformité, la morosité, l’ennui. La sérénité, la pureté, l’Eden décrit par Yves Klein pourrait être un de ces environnements mais un parmi d’autres. Il ne saurait être une répétition de lui-même.
En conséquence, si interactivité il doit y avoir il nous semble qu’elle doit d’abord avoir lieu entre environnement extérieur et intérieur et non plus uniquement entre environnement intérieur et individu (comme nous l’avons vu c’est déjà le cas sur le territoire mondialisé de l’Internet et sur certains espaces localisés (boite sensibles…)). Il nous semble qu’une interaction entre un environnement intérieur en partie régulé par l’homme et un environnement extérieur incontrôlable permettrait de réintroduire une part de hasard ou de modulations aujourd’hui perdues dans cet environnement intérieur.

Pour une interaction entre environnement intérieur / extérieur

L’interaction entre environnement intérieur et extérieur existait dans le passé souvent au dépend de l’homme qui a cherché et réussi, grâce à la technique, à s’en prémunir. Cette recherche a abouti à la généralisation d’espace où l’environnement est entièrement contrôlé (humidité, température, absence de vent…). L’homme recrée, notamment grâce à l’air conditionné un environnement de confort jugé idéal, cet environnement contamine un très grand nombre d’espaces à travers le monde et ce quel que soit leur fonction et ou leur localisation. Au final cela crée un environnement neutre, sans saveur, un peu comme si l’on se nourrissait d’un aliment capable de nous offrir tous les ingrédients nécessaires à notre vie et notre épanouissement sans que celui-ci n’ait aucun goût. Il nous semble qu’il faut aujourd’hui essayer, quand c’est possible, d’offrir des environnements intérieurs différents les uns des autres et capable de se modifier dans le temps. Il faut leur redonner une certaine saveur. Or c’est par l’interaction entre les environnements intérieurs et extérieurs que l’on pourra exprimer, créer du mouvement, de l’originalité, de l’unique, de l’imprévu à la fois pour le flâneur et/ou spectateur et pour l’habitant. Avec les nouvelles capacités technologiques notamment grâce à l’informatique, l’homme pourrait créer un système qui agirait non de façon purement aléatoire (hasard créé par l’ordinateur, courant de musique aléatoire (Ircam) ou Greg Lynn en architecture…) mais dont les paramètres pourraient être fonction des variations de l’environnement extérieur. Réciproquement l’environnement extérieur pourrait être modifié en fonction de ces stimulations créant ainsi un système interactif.
L’homme est plus ou moins extérieur au système il peut donc être surpris… Maintenant selon où il se situe et parce qu’il fait partie de l’environnement qui le contient l’homme peut agir sur cet environnement (intérieur ou extérieur). Il peut donc participer lui aussi à petite échelle à l’interaction sans pour autant être au cœur du système. L’espace peut agir sur lui, il peut donc réagir. Cette réaction peut éventuellement dans certains cas modifier l’environnement (chaque bulle peut plus ou moins transformer l’écume)… Dans tous les cas, l’espace surprend, il se met en mouvement, il n’est plus ici comme il pourrait être ailleurs ou plus tard. L’environnement acquiert une identité propre sculptée à la fois par une architecture à l’origine de l’espace et de ses modulations possibles et par l’environnement extérieur stimulant ces modulations, les rythmant.

Expériences, exemple de programmations :

En 1955 Nicolas Schöffer crée à Saint-Cloud une interaction cybernétique sonore réagissant aux informations captées dans l’environnement : les variations de la température, de la lumières ou des bruits ambiants, déclenchent en retour le mixage d’un enregistrement musical placé dans la structure de la tour (dite tour cybernétique). Cette tour est en fait une structure creuse qui ne délimite pas d’environnement intérieur ; l’interaction à lieu ici uniquement dans un même environnement extérieur. L’idée serait aujourd’hui en utilisant ce processus de généraliser la modification d’un environnement intérieur par des stimulations provenant d’un environnement extérieur.

vent x … => changement léger de couleur ou de luminosité localisé à
l’intérieur du bâtiment
ciel dégagé => légère brise…
pluie => mouvement d’une cloison…

et inversement

changement global fumigènes vers l’extérieur qui font
de couleur ou de luminosité => disparaître une partie du bâtiment
à l’intérieur du bâtiment (ex : projet de passerelle Venise)

L’environnement n’est plus dépendant du spectateur mais d’un ensemble beaucoup plus large… L’architecture devient unique dans l’espace et dans le temps. Le spectateur n’est plus seul maître ou récepteur au centre du système en tant qu’individualité. Il reste un parmi les autres. On sort en partie de ‘l’homocentrisme’ qui caractérisait et caractérise encore la grande majorité des recherches en terme de mouvement et d’interactivité.

Il est bien sur possible d’inclure d’autres espaces dans cet espace, ces derniers pouvant être des espaces virtuels interactifs inclus dans l’environnement intérieur. Cela peut d’ailleurs parfois amener à dissoudre la notion de limite virtuelle et réelle.

Environnement énergies et flux inhérents…

L’environnement extérieur devient donc un stimulateur pour l’environnement intérieur qui se modifie en fonction du premier et non d’un hasard mathématique. Cela crée une liaison temporelle entre ce qui se modifie à l’intérieur et à l’extérieur. L’environnement extérieur donne le rythme.
Il agit sur l’environnement intérieur et donc sur ces ‘habitants ou promeneurs’. [Ces derniers pourraient également agir sur l’environnement extérieur via par exemple leur positionnement à l’intérieur ou sur l’internet.]

Le système créé entre les deux grands ensembles : environnement intérieur et extérieur est complexe. Il n’est pas un système d’interaction binaire simple (ex : habitant / espace habité). Il s’agit d’un système où divers facteurs peuvent intervenir et influer les uns sur les autres. Ces actions/réactions peuvent avoir des fonctions esthétiques (rompre avec la monotonie…) mais elles peuvent également servir de créateur ou d’économiseur d’énergie (ex : éoliennes cachées et/ou visibles).
En créant le bâtiment les architectes vont devoir mettre en place le programme au sens architectural mais également le ‘programme’ informatique4 qui permettra à l’environnement intérieur de ne plus être aseptisé par l’air climatisé… Il pourra se modifier et surprendre l’utilisateur à nouveau.
Ne sont évoqués ici que les programmes informatiques qui permettent de créer des actions nouvelles en conséquences de certains stimuli extérieurs. Mais cela reste un procédé similaires aux utilisations ancestrales de matériaux / formes / vide permettant de tirer profit de l’arrivée d’une brise, de récupérer et éventuellement stocker l’eau ou de se saisir des rayons du soleil. Seule change la méthode qui vise à démultiplier (amplifier transformer) les effets.
Si on pouvait par exemple dans le passé (et encore aujourd’hui !) imaginer un système mécanique d’écoulement de l’eau de pluie capable de créer une musique (fontaine musicale) on peut grâce à l’informatique imaginer et créer de nouveaux rapports causes/conséquences.
Une piste à développer…

 

Eric Cassar 2006

 

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