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Architecture mouvement ou Perception multisensorielle et multi dimensionnelle d’une ar(t)chitecture

 

Ce texte a été publié dans le livre « Pour une ar(t)chitecture subtile » aux Editions HYX.


 

Une ar(t)chitecture est une architecture avec une épaisseur artistique importante.

Toutes les architectures n’ont pas vocation à être des ar(t)chitectures mais doivent chercher à tendre, tant que possible, vers.

Aussi simple soit-elle, une architecture doit surprendre. Elle doit prendre en compte les déplacements du promeneur dans l’nspaces. La vision d’une architecture ne se fait plus uniquement à partir de l’immobilité (œil du photographe) mais aussi à partir d’une observation en mouvement depuis un flux (changement de référentiel).

Architectures mouvement : définition…

Nous partons du principe, dans ce qui va suivre, qu’une architecture est fixe dans un lieu. Nous excluons donc le cas des architectures mobiles.
Un mouvement n’existe que par rapport à un référentiel.
Le référentiel choisit ici est celui de l’observateur noté référentiel O.

(Note : Si le référentiel O est en mouvement par rapport à un référentiel absolu et qu’un objet ou bâtiment est statique par rapport au référentiel absolu, l’objet ou bâtiment est vu en mouvement depuis le référentiel O).

Ce que nous appelons dans ce qui va suivre une architecture (en) mouvement n’est pas une architecture en mouvement par rapport à un référentiel terrestre mais une architecture :

  1. en mouvement par rapport au référentiel de l’observateur (immobile ou en déplacement dans l’nspaces)
  2. non intellectuellement appréhendable, surprenante, c’est-à-dire que l’observateur ne peut pas s’attendre à ce qu’il voit (ex : s’il a un aperçu du bâtiment et qu’il reconstruit mentalement les parties non visibles, il s’attend à une forme, il se déplace et découvre autre chose). La surprise crée une nouvelle perception ou perception autre, inattendue du bâtiment.

L’architecture est en mouvement parce qu’elle peut montrer au sein de chacune des dimensions (et de leur combinaisons) différentes perceptions d’elle-même, différent « elle ».
Ce que nous appelons architecture (en) mouvement est une architecture « multi facettes » dans toutes les dimensions.

Un environnement est toujours considéré en mouvement parce qu’il est changeant (lumière, vent). Le climat est un des principaux moteurs de ce changement multisensoriel.

Tout observateur se déplace dans le temps à une cadence identique même si la perception du temps peut différer selon les moments et les observateurs. Par contre, tout observateur ne se déplace pas dans l’nspaces à la même cadence. Ainsi la perception d’une architecture en mouvement dans l’nspaces sera différente d’un observateur à l’autre.

Cela signifie qu’aujourd’hui la création du bâtiment doit se faire en prenant en compte les perceptions (multisensorielles) d’un observateur immobile et en mouvement dans l’une ou plusieurs des n dimensions, qu’il soit situé dans l’environnement extérieur ou intérieur du bâtiment.

Ainsi la représentation d’une architecture par une image ou un objet devient, davantage encore que par le passé, une approximation de l’architecture réelle. Ces représentations sont notamment incapables de montrer l’ensemble des flux possibles dans les différentes dimensions, la connexion aux divers réseaux réels et/ou virtuels, la perception extérieur qu’on en a dans le mouvement de chacun de ces flux…

L’architecture en mouvement n’est plus ni géométrique (espace ou géométrie simple créée par l’homme), ni organique (au sens wrightien du terme). Elle est l’un, l’autre et davantage en relation permanente avec son environnement préexistant et l’ensemble de ses composantes (flux…).

L’architecture d’aujourd’hui doit être une architecture aux mouvements complexes de manière à réduire (ou affirmer) les limites qu’elle est susceptible de créer avec et pour les autres “acteurs” de la ville. De manière à pouvoir comme le décrit Rem Koolhas, s’ajouter et se fondre avec le contexte préexistant en créant un ensemble hybride, expression d’un tout jamais figé et toujours en mouvement plutôt qu’une juxtaposition d’éléments cristallisés.

“The neatness of architecture is its seduction; it defines, excludes, limits, separates from the rest – but it also consumes.” Rem Koolhas

Une architecture mouvement n’est pas perceptible immédiatement d’un bloc. Comme toute architecture, elle s’ajuste également avec le temps et les habitudes. Elle se « patine ». Les photos (ou la vidéo) d’un bâtiment alors qu’il vient d’être réalisé, ne représentent pas son architecture mais uniquement une esquisse plus élaborée que des images virtuelles, une esquisse réelle. Il faut attendre plusieurs années voir plusieurs décennies (ou siècles) pour pouvoir montrer un bâtiment fini dans son début de vie, pour voir son adaptation au milieu extérieur ; son intégration dans l’environnement préexistant ; son rôle dans le nouvel environnement créé.

L’image reste une des représentations visuelle de l’architecture, mais seulement d’une des faces. Or l’architecture n’est pas un art uniquement visuel. Et l’architecture n’est pas un art uniquement perceptif (multi sensoriel)… !

L’architecture n’a pas un cadre mais une infinité de cadres fixes ou en mouvement dans toutes les dimensions.

Espace appréhendable

Nous définissons un espace appréhendable comme un espace qui est en mouvement dans aucune des dimensions. C’est-à-dire :

  1. Il reste nécessairement en mouvement par rapport au référentiel de l’observateur (en déplacement dans une au moins des 3 dimensions)
  2. Il est toujours appréhendable. Il n’est pas « multi facettes ». Un angle de vision suffit pour le comprendre dans sa globalité.
  3. Il est immobile. Son enveloppe ne se modifie pas (à l’exception des modifications dues à l’environnement extérieur : réflexion lumineuse…).
Espace neutre

Il est difficile de créer un environnement complètement neutre, cela signifierait par exemple qu’il ne réagirait pas au son produit par un promeneur.

Une pièce, parallélépipède blanc vu de l’intérieur n’est pas neutre mais entachée d’une accoutumance à cette géométrie simple, ancestrale. La considérer comme neutre reviendrait à créer un étalonnage arbitraire dans sa pensée.

Un paysage organique ou géométrique plus complexe n’est pas moins neutre, il est juste plus difficile et plus long à appréhender. Il peut dans un 1er temps surprendre et donc perdre la neutralité recherchée propice à la méditation intérieure.

Nous définissons un espace neutre comme un espace dont les propriétés physique ne se modifie nullement dans aucune des dimensions de l’nspaces. Il peut néanmoins posséder des propriétés physiques intrinsèques mais invariables (réflexion du son ou de la lumière…)

Exemple d’espace neutre : la coupole

Espace blanc

Nous définissons un espace blanc comme un espace qui ne se modifie jamais. Un espace invariable quel que soit les variations de l’environnement extérieur (son, lumière…).

Architecture mouvante

L’architecture mouvante est une architecture en mouvement au moins dans la dimension temps. Elle se transforme pour un observateur immobile dans l’espace. Cette modification peut avoir comme origine un stimulus ou s’effectuer de manière totalement aléatoire. A titre d’exemple l’arrivée d’une brise va modifier la sensation, ou perception multi sensorielles de l’espace.

Quand l’architecture mouvante a pour origine un stimulus, c’est qu’un mouvement extérieur stimule un mouvement de l’architecture. Il y a connexion de mouvement.

Ex1 : Connecter (créer une liaison) entre un des mouvements de l’environnement et un des mouvements (temporel ou autre dimension) de l’architecture ===► interaction avec l’environnement

Ex2 : Connecter (créer une liaison) entre un des mouvements d’un ou plusieurs observateurs (flux) et un des mouvements de l’architecture ===► interaction avec le spectateur promeneur (qui devient malgré lui acteur)

Ex3 : Connecter (créer une liaison) entre un des mouvements d’un observateur ou plusieurs observateurs d’un autre espace (virtuel, nspaces) et un des mouvements de l’architecture ===► interaction avec le spectateur promeneur virtuel (qui devient malgré lui acteur réel)

Ex4 : Combinaisons des exemples précédents

On pourrait imaginer également des mouvements de l’architecture stimulés par des mouvements de l’esprit, des battements de cœur, clignements de main, agitations de cils.

Ces connexions peuvent intervenir à l’intérieur ou à l’extérieur du bâtiment.

Le dedans ===► création d’un environnement par l’architecture ===► environnement en mouvement qui inclut le ou les observateurs et les enveloppe

Le dehors ===► architecture dans l’environnement extérieur qui discute avec cet environnement (contexte) ===► création d’environnements architecturaux extérieurs qui interviennent avec l’environnement préexistant et crée ainsi un nouvel environnement.

L’entrée dans le bâtiment est un espace de transition important qui correspond à la traversée d’une limite. Il exprime le passage de l’environnement extérieur à l’environnement intérieur et doit toujours être conçu comme tel.

L’ar(t)chitecture d’un bâtiment est l’ensemble des perceptions, impressions successivement perceptibles dans l’nspaces (que l’observateur soit situé dans l’environnement intérieur ou extérieur (s’il perçoit le bâtiment), qu’il soit immobile ou en mouvement dans les dimensions.

Vers une architecture mouvement qui ne tend ni vers une architecture vivante ni vers une architecture uniformément robotisée…

L’architecture avec tous ses mouvements ne doit pas devenir une architecture vivante. L’objectif n’est pas de lui insuffler de la vie comme à un végétal, animal ou espèce vivante quelconque.

Il faut cesser de chercher à reproduire en permanence la nature que ce soit dans ses formes – notamment comme tente de le faire aujourd’hui le courant biomorphisme – ou dans ses process de création. Il faut trouver de nouvelles formes, de nouvelles réactions, de nouveaux mouvements, inventer des process constructifs unique. Il faut travailler à partitionner, à organiser, moduler, façonner la matière nspaces comme jamais. Ce travail s’effectue en ayant à l’esprit 1/ la multiplicité des points de perception globale fixe ou en mouvement dans l’ensemble de cette matière ; 2/ l’organisation déjà existante ou contexte ; 3/ l’environnement extérieur.

L’architecture est un réceptacle contenant de la vie… capable de se modifier, de s’adapter en réponses aux stimulations dues à la fois à l’environnement extérieur (éléments climatiques, flux…) et aux actions à l’intérieur de la partie d’nspaces définit par le bâtiment (déplacement des acteurs, variations des sons (adaptation aux sources sonores, mouvement et stimulation dans l’espace du bâtiment (déplacement ouverture de porte)).

L’architecture est à la fois le construit préexistant et sa mise en mouvement grâce à des données extérieures, le bâtiment n’est donc plus qu’un assemblage de matériaux palpables il est également un ensemble de données non palpables, données qui peuvent prendre la forme de données informatiques (databuilding en référence au datatown de MVRDV). Comme nous l’avons signalé dans d’autres écrits le bâtiment possède donc un nouvel ‘organe’ cœur électronique ou cerveau cybernétique (Nicolas Shöffer). Cet organe n’a rien à voir avec la domotique et ses objectifs (visant très souvent à standardiser l’ensemble des environnements en créant des bâtiments possédant la même intelligence, des bâtiments uniformisés). C’est un organe participant à la mise en mouvement dont nous parlions dans l’architecture mouvante. Il peut également dans le cadre du développement durable permettre de réguler les consommations et/ou création d’énergie. Ce cerveau cybernétique étend également le bâtiment au-delà de ses dimensions spatiales. Il le prolonge dans d’autres dimensions de l’nspaces. Ses limites deviennent alors plus floues.
Ainsi l’architecture se modifie, et donc modifie l’environnement intérieur et son rôle dans l’environnement extérieur de manière à surprendre, à ne jamais être identique à la fois dans le temps, dans l’nspaces et d’un bâtiment à un autre. L’idée globale reste qu’il faut en finir avec cette aire de l’uniformisation pour entrer dans une aire capable d’utiliser intelligemment les techniques de notre temps en vu de créer une architecture adaptée à son contexte, à son temps, à son ‘nspaces’ et capable d’offrir sa propre originalité sa propre spécificité d’être ainsi différente d’une autre ar(t)chitecture.

Créer une architecture qui pleure, qui saigne (Coop Himmelblau) non pas parce qu’elle est triste mais en réponse originale (et non systématique) à une stimulation, à une modification dans l’nspaces.

La majorité des modifications de l’architecture doivent être imperceptibles. Elles s’effectuent progressivement et ne sont pas visibles à l’échelle de temps des acteurs.
Le mouvement de l’architecture est subtil et lent. Il n’est pas la vie, il est une manifestation physique inhérente à l’élément architecture à la manière des vagues (toujours recommencées), d’un geyser, d’une chute d’eau ou d’un volcan.
Cette manifestation physique peut être à l’origine d’une programmation contenant des éléments aléatoires. Ainsi l’architecture n’est plus une pierre, c’est une pierre magique.

 

Eric Cassar 2007

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