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P(l)age blanche : colorier la vi(ll)e

 

P(l)age blanche : colorier la vi(ll)e

Exposition sur la ville sensible et le paysage urbanisé par Eric Cassar
à la Galerie-Librairie Première ligne dans le cadre de la biennale d’architecture Agora – Bordeaux 2017
avec le soutien d’Arkhenspaces

 

Vidéo de l’interview de présentation de l’exposition (réalisation audiovisuelle Julien Darblade)

Merci aux poètes Julien Blaine, Giovanni Fontana et Serge Pey pour leur participation dans la mise en couleur de la p(l)age

 

P(l)age
Texture, empreintes
Le sol
Ecrire avec les pieds
Ecrire dans la ville
Colorier le temps

L’émergence et l’engouement des « smart-cities » se caractérise selon moi par l’arrivée du numérique dans les espaces physiques et la ville. Ce nouveau paradigme est à la fois remède et poison. Il invite à s’interroger sur la conception et le devenir de nos villes au XXIeme siècle.
C’est ce que traite cette exposition à travers une série de signes ou d’actions possibles pour améliorer la ville. Elle est perçue comme une page, une plage à corriger ou à inscrire. Dans une ville, le blanc de la p(l)age ce n’est pas la blancheur Mallarméenne immaculée – qui, d’ailleurs, n’existe pas en dehors de la pensée –. La blancheur c’est la fadeur, seule. C’est l’urbain. C’est l’ennui.
La ville est un environnement humain construit par les hommes à la fois pour les hommes et pour le vivant. Un environnement complexe qui doit combiner des objectifs contradictoires : sécurité et liberté, transparence et mystère, lien social et anonymat, efficacité et flânerie etc. On doit pouvoir à la fois s’y perdre et s’y repérer. Cet environnement doit conjuguer l’ordinaire et l’extraordinaire. Concevoir une ville c’est donc organiser des espaces et des architectures mais c’est aussi produire un art du quotidien ou du réel dans le réel. Un art support de la vie. Il s’agit – pour reprendre la métaphore liminaire – d’ajouter des couleurs, pour créer une pluralité de lieux, d’atmosphères, de saveurs.
Arkhenspaces, la société d’architecture que j’ai créée fin 2005, a, depuis 11 ans, travaillé sur près d’une centaine de projets d’architecture et d’urbanisme à travers le monde. De ces travaux j’ai extrait 11 thèmes qui me paraissent pertinents pour la conception, la transformation ou l’amélioration d’une ville aujourd’hui. Ces thèmes sont combinables. Ils sont différemment applicables en fonction des lieux. N’oublions pas que construire une ville ou construire dans une ville c’est d’abord répondre à des questions en relation avec un contexte matériel et immatériel prédéfini. Ces thématiques à la fois pratiques et sensibles, passent volontairement à côté des problématiques rationnelles liées entre autres à la gestion technique de la ville, à la circulation ou l’énergie. Non pas que ces dernières soient secondaires bien au contraire mais parce qu’étant « naturellement » indispensables, elles sont toujours évoquées partout. Elles ont donc tendance à saturer le débat, alors qu’à elles seules, elles ne suffisent pas à créer la ville. La ville doit être efficace mais c’est aussi le lieu des possibles, le lieu des sensibles, des activités, de la rêverie et des échanges.

C’est ce que j’ai cherché à introduire à travers ces 11 tableaux illustrés avec des extraits de projets qui représentent une liste fragmentaire d’actions qui ponctuellement ou continuellement participent ou participeraient à faire la ville. Le pluriel est important. Il n’était plus une fois, il est et il sera des fois :

- des fois le ciel décloisonné
- des fois la faune et la flore célébrées
- des fois les frontières habitées
- des fois l’interstice
- des fois la ville convertible
- des fois l’enveloppe praticable
- des fois l’étoile diffractée
- des fois la nature incorporée
- des fois la fête amplifiée
- des fois les imaginaires stimulés
- des fois l’habitat déployé (*)

L’écriture dans la ville, sa couleur, proviendra en partie, de ces à côtés non mesurables trop souvent oubliés. Parce que les projets ne doivent pas uniquement répondre aux demandes des commanditaires mais apporter plus : un supplément d’âme qui pourrait sembler, aux yeux de certains, insignifiant ou utopique alors qu’il constitue selon moi le liant nécessaire au respect et au vivre ensemble. Cette substance insondable qui nourrit dans leur quotidien le citadin, le citoyen, l’autochtone, l’étranger, l’apprenant permanent : jeune, vieux, enfant, actif, étudiant ; le spectateur, l’acteur, le vivant, le viveur. Et qui l’interroge, qui le surprend, l’éveille et l’élève.
Architectes et urbanistes, nous créons des supports qui inspirent, stimulent les imaginaires et démultiplient les possibles.
Créer une ville c’est ajouter des ailles (ll) à la vie. Pour que toujours, comme l’écrivait déjà Friedrich Hölderlin en 1807 quelques années après un court séjour sur les bords d’eau de la Garonne : « Plein de mérite mais en poète / l’homme habite cette terre ». Car in fine c’est la richesse des vies qui parachève les couleurs de nos villes.

La ville – lieu des possibles – se situe entre
entre les lignes / entre les mots / entre les architectures / entre les véhicules / entre les espaces / entre les citadins
L’entre qui définit à la fois une relation et un espace résiduel possiblement liant
Un entre pluriel
A déployer

 
 

(*) détails des tableaux avec les hyperliens vers les projets cités

 
- des fois le ciel décloisonné L’espace collectif (public ou semi-privé) peut s’étendre à des altitudes au-delà du sol. Aujourd’hui très souvent les tours (et les barres) sont des impasses verticales. En créant des lieux de destinations pour tous à mi-hauteur ou sur les toits (équipements, restaurants, cafés…) et en y incluant parfois des circulations hautes (par exemple entre deux bâtiments) on augmente le passage, on invite, on décloisonne et on améliore à la fois l’usage et la sécurité de ces espaces.

Images extraites des projets (hyperliens) : Ville Nd, Triel-sur-Seine, France, 2009 / To climb Copenhagen sky, Copenhague, Danemark, 2008 / Ville subtile : les Minguettes 2040, Vénissieux, France, 2015
 

- des fois la faune et la flore célébrées La nature dans la ville est un moyen d’adoucir le climat, de prévenir les inondations. Elle favorise la décarbonation et produit du bien être pour les citadins. Il s’agit aussi de s’interroger sur l’accueil du vivant, sur le partage d’une partie de notre espace. Libérer au cœur des villes des continuités végétales où la nature est reine permet de préserver la biodiversité, d’offrir des espaces de loisir et de ressourcement, mais aussi de produire des porosités entre ville et campagne.

Images extraites des projets : To climb Copenhagen sky, Copenhague, Danemark, 2008 / Villa la Sousta, Hyères, France, 2003-2006
 

- des fois les frontières habitées Il s’agit de reconsidérer les limites urbaines, lisières et barrières à la fois physiques et virtuelles (autoroutes, voies ferrées, etc…). Ne pas systématiquement chercher à les effacer mais à contrario chercher parfois à tirer profit de leurs propriétés, à les transformer en lieu, en centre liant capable d’attirer et de réunir les habitants.

Images et vidéo extraites du projet : Ecocité Descartes, Champs-sur-Marne, France, 2015
 

- des fois l’interstice Vivre l’invivable ou voir l’invisible. La réalité que nous percevons n’est qu’une partie du réel. Des outils issus des nouvelles technologies nous permettent et nous permettront de percevoir plus ou mieux (réalité augmentée). Ceci demande de concevoir simultanément l’architecture physique et numérique des nouveaux espaces ; de partitionner le réel en diverses couches de réalité superposées combinant informations, espaces et individus. Une bonne organisation des relations ou des connexions permet aux usagers de mieux appréhender toutes les propriétés accessibles (concernant des lieux ou des habitants) en fonction de leurs besoins et de leurs désirs (propriétés climatiques, affluence d’un espace, usage, informations sur la circulation, les habitants etc).
Parallèlement ou à l’opposé, il est nécessaire de concevoir des échappatoires, des creux (des vides) au cœur des réseaux de nos villes. Il s’agit de toujours penser la connexion avec son corollaire la déconnexion.

Images et vidéo extraites du projet : Ecocité Descartes, Champs-sur-Marne, France, 2015 / Interstices urbains, Kaohsiung, Taiwan, 2013
 

- des fois la ville convertible Ce tableau invite à se questionner sur la résilience de nos villes. Avec les changements climatiques, vagues de chaleurs et de froid s’amplifient, se multiplient et s’allongent. La ville doit être capable de s’adapter à une diversité de typologies de climat car ce qui est efficace en hiver est souvent contre-productif en été et vice-versa. Pour cela, la flexibilité est une des clés : le roseau qui se plie résiste mieux à la tempête que le chêne. L’adaptation pourrait consister à concevoir des systèmes mobiles ou amovibles, c’est-à-dire automatisés ou nécessitant des interventions humaines permettant de transformer physiquement un bâtiment sur de courtes ou de longues durées (de quelques heures à une saison). Par exemple couvrir certaines parties des rues pendant l’été serait une des réponses à la protection des villes contre les fortes chaleurs.
Cette proposition participe à la multiplication et la diversification des micro-climats urbains qui me semble être une action essentielle pour produire du bien-être pour tous, tout en répondant à la variété des conséquences du changement climatique.

Images extraites des projets : Phoenix Palace, Fengshan, Taiwan, 2014 / La route 5G, 2017
 

- des fois l’enveloppe praticable Une partie de la double enveloppe d’un bâtiment de bureau sert également de voies d’escalade. La toiture, qu’elle soit plate ou en pente, peut libérer des espaces extérieurs publics, privés ou partagés aux usages à inventer : jardin, terrain de sport, place publique…

Images extraites des projets : Yamakasi, Stains, France, 2011 / Les jardins en cascade, Hong-Kong, 2007
 

- des fois l’étoile diffractée Des dispositifs fixes ou en mouvement permettent de réfléchir les rayons du soleil sur des façades, des places ou dans des rues. Ils augmentent ainsi localement la luminosité entraînant l’apparition de jeux de lumière dans des espaces obscurs ou la prolongation des durées d’ensoleillement (notamment l’hiver pour les territoires sombres). Ces systèmes peuvent ne fonctionner qu’une partie de l’année, ils participent à la création des différents micro-climats urbains. Ce tableau est un hommage aux poètes Isle et Pierre Garnier et à leur poésie spatiale.

Images extraites des projets : Villa D, Viroflay, France, 2010-2012 / [Sun] Museum, Helsinki, Finlande, 2014
 

- des fois la nature incorporée Ce tableau invite à penser l’architecture en relation étroite avec le biotope. La végétation n’est pas un décor. La nature doit pouvoir parfois s’approprier l’architecture. Il s’agit de produire des synergies ; de penser l’un avec l’autre et non systématiquement l’un à coté de l’autre.

Images et vidéo extraites des projets : Tamula terraced sky area, Vorù, Estonie, 2008 / Villa la Sousta, Hyères, France, 2003-2006
 

- des fois la fête amplifiée L’instrumentour (ou instrumentower) est un instrument sonore et visuel à l’échelle de la ville. Il peut se mettre en fonctionnement seul (une à deux fois par jour), interagir avec d’autres instrumentour localisées sur d’autres territoires et également servir d’instrument complémentaire à des artistes pour des concerts ou des événements exceptionnels. Il singularise une ville et devient naturellement le signe d’un lieu de rassemblement pour tout type de cérémonie. Il rend possible et favorise la mise en place d’événements.

Images et vidéo extraites des projets : Instrumentower, Taichung, Taiwan, 2011 / Hyperborea, Moscou, Russie, 2013 / Mirage, extrait du recueil Poursuites, 2000
 

- des fois les imaginaires stimulés Le thème aurait pu être « des fois la ville poétique » mais j’ai du mal avec ce mot. J’ai comme l’impression qu’il suffit de nommer le mot poésie pour que dé facto sa substance s’évapore. Parce que la poésie est dans l’entre, dans le flou, le mystère, l’étrange, le bigarré… Il s’agit ici, notamment à l’aide de la matière climatique, numérique ou vivante (interactions humaines), de semer des signes-poèmes qui peut-être bourgeonneront subrepticement dans la ville.

Images extraites des recherches : La ville subtile, 2014 / Je t’aime, extrait du recueil Poursuites, 2000
 

- des fois l’habitat déployé Ce tableau présente nos travaux récents qui explorent les nouveaux modes d’habiter à l’ère numérique. Il s’agit de concevoir des espaces où la surface intime permanente est réduite au profit d’une multitude d’espaces partagés gérés par le digital. Les conséquences sont une amplification du lien social, des échanges facilités, des espaces de vie augmentés et de nombreux services ajoutés. La conception conjointe d’une architecture physique avec une architecture numérique (digital) réussit à décupler des ressources locales.

Images extraites du projet : Habiter l’infini, 2017
 
 

Eric Cassar 2017

 

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