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Mouvement dans l’immobilité : __________________________________________________ 1 – Du champ de traces au chant des traces

 

Ce texte est le 1er volet d’un triptyque « Mouvement dans l’immobilité ». Il a été publié dans Chroniques d’architecture en novembre 2020.


 

Pour clore les écrits sur la trace (1) et parce que nos vies confinées réduisent nos mobilités, voici le premier d’une série de trois textes sur l’architecture – Du champ de traces au chant des traces ; L’architecture est un instrument d’environnement ; A tout lieu sa formule – comme une invitation au voyage dans l’immobilité.

Dans l’n-spaces, les supports des traces, outils d’appropriation des lieux et de conservation des souvenirs, sont à la fois plus vastes, plus nombreux et plus divers. Chaque nouvelle trace se dépose comme un sédiment, tout en prenant part au tissage numérique du lieu. Elle « patine », lustre l’espace et telle une porte, ouvre de nouveaux chemins dans l’immobilité. La trace se lie à d’autres localités, récits, et elle s’ancre dans la mémoire du lieu facilitant son appropriation et son partage, sa division en espaces-temps.

Impressions

La mémoire est la capacité de conserver une information, un événement, mais elle est aussi celle de pouvoir la faire ressurgir. Il s’agit donc d’inscrire, de stocker et de permettre et produire la résurgence. De classer, choisir, d’établir des règles, des familles, de déterminer la durée de vie et d’organiser (le droit à) l’effacement. Sans organisation, l’n-spaces serait rapidement saturé et peu praticable. Chaque trace nouvelle doit pouvoir se relier à d’autres (hyperliens), démultiplier les parcours.

Tissages

Taguée dans son espace géographique, la trace s’inscrit au sein du réseau local (le Local Thick Web (2)) invitant ensuite chaque visiteur, libre, à choisir son itinéraire dans l’écume numérique. Il poursuit à sa guise chacune des fibres, personnelles ou plus ou moins publiques, qui pourront l’accompagner vers d’autres espaces physiques ou virtuels du www ou d’autres réseaux voisins. Le lieu croît de/vers l’intérieur et parallèlement s’étend en multipliant les liens notamment avec d’autres espaces spatialement disjoints. Le tissage accru consolide l’ensemble.

Vagabondages

Une nouvelle cartographie augmentée prend forme. La relation entre n-spaces de natures diverses induit de nouvelles errances… Le temps passé à surfer hors sol (sur les réseaux sociaux ou les sites web) pourrait se réduire au profit d’une autre vague qui prendrait son point de départ ou de rebond dans l’espace physique. Pouvoir errer dans les arcanes d’un n-spaces, navigant de lieu en lieu, dans l’espace et le temps, pour y découvrir je ne sais quoi, y rencontrer je ne sais qui ; d’abord virtuellement puis, peut-être plus tard, physiquement, car ces relations sont principalement locales.

Résurgences

Des souvenirs peuvent aussi apparaître imprévisiblement (un programme libérant des informations en fonction de paramètres, plus ou moins aléatoires). Alors, les réminiscences colorent le lieu à la manière de flash-back qui surgissent au cœur d’une histoire.

L’n-spaces rend possible un nouveau type de mouvement dans l’espace immobile. De la chambre d’un adolescent à l’espace de coworking, au théâtre, à la bibliothèque ou au musée, les lieux se remplissent, se teintent de sens cachés mais liés laissant place à une future archéologie de la vie, de l’infime. Après avoir parcouru le volume, le passé, j’entre dans l’infini de l’ici. Je creuse, je lis, j’inscris et la trace est à l’œuvre, comme œuvre (3). Chaque lieu devient musée de lui-même et l’organisation des données produit des récits, des expositions, des rencontres. Ce mouvement immobile, à l’intersection des traces et des lieux, invite au voyage mental et physique.

Esthétiques (spatio-numériques)

Une vision chimérique, un rêve ? A l’intérieur du lieu oui, mais dans l’absolu certainement pas. Elle s’appuie sur des outils rationnels profitables et consiste simplement à les utiliser de manière complémentaire, pour produire une « musique », des esthétiques immatérielles, stimuler les imaginaires. La technique est là, et bientôt les infrastructures aussi, dans tous nos bâtiments. Il suffira alors de mettre en place les bons arrangements.

Compositions

A l’architecture du lieu nouvellement conçue, s’ajoute donc cette architecture digitale à la fois générique et spécifique, accompagnée d’une formule qui contient des algorithmes et autres écritures informatiques capables de puiser des données locales autant mémorielles, que climatiques, sensorielles, techniques ; comme ressources pour produire différents effets ou événements, des hasards et des coïncidences. Cette formule participe au mouvement dans l’immobilité. Le lieu réagit, s’anime. Et sa manière le caractérise : elle texture et définit l’espace comme la matière du sol, la couleur des murs, les courants d’air, la température, les vues sur le paysage ou la mémoire historique.

Les réactions peuvent prendre diverses formes : aux réminiscences de mémoire (flash-back) peuvent s’ajouter d’autres phénomènes aléatoires capables de surprendre. L’espace s’active, la formule oriente les actions (entre capteurs et actionneurs). Elle sculpte l’éclat. A partir de cette nouvelle matière, numérique, le lieu vibre.

Résonances

Cette formule amplifie l’essence d’une ar(t)chitecture subtile (4) qui se réinvente et se redécouvre à loisir. Une ar(t)chitecture qui, une fois construite, n’est jamais exactement la même, jamais exactement une autre. Elle joue avec l’environnement, avec les habitants, avec les mémoires. Elle enrichit le lieu en transformant et tissant ses liens. Comme dans un paysage où les pierres restent en place, la mer parfois se déhanche et le climat altèr(n)e : vent, pluie, lumière – qui transforment les couleurs – mais aussi air et animaux (le vol d’un oiseau, la sortie d’un crabe ou le passage d’un cerf), les saisons. Selon différents rythmes, de nouveaux événements, empreintes et configurations émergent.

Phénoménologie où mots, sons, (odeurs ?), images se gravent dans l’espace, dans le lieu. Un autre langage. Le livre de pierre enfin ? Le livre sous la pierre. Le livre, le poème, l’espace poème, le lieu, l’espace clos qui s’ouvre par/vers les sens. Des traces : inscriptions voulues ou spontanées, disparition, apparition.

Ecouter, lire… dans l’n-spaces, de la sédimentation aux voyages et aux usages.

Forêt d’objets, système de couches et de tissage.

Les traces digitales, comme des variations de peintures abstraites renouvelées, se dévoilent et s’éclipsent. Nourriture de sérendipité dans l’espace à venir, stimulation d ‘illuminations.

Chiffrer déchiffrer ? Ecrire, plus ou moins visiblement ; dissimuler des songes, des idées pour nourrir le mystère, l’énigme. La surprise pour (r)éveiller un éclair de pensée.

Et la superstition s’accroît parfois. Elle réactive l’imagination. La magie ressurgit. Ponctuellement, l’n-spaces scintille et ondoie.

Un (nécessaire) brin de spiritualité dans nos constructions modernisées.

 

Eric Cassar 2020

 

(1) L’ensemble des textes ci-dessous sont accessibles en ligne ici : Chroniques d’architecture.
Trace n°1 : La trace, pour faire du temps son allier
Trace n°2 : La trace, nature physique et présence d’une chose absente
Trace n°3 : De la nature de la trace numérique
Trace n°4 : Trace et nature numérique, ordonner la donnée
Trace n°5 : Trace et lieu : hybridation des espaces physiques et virtuels
Trace n°6 : Dans les nouvelles strates des espaces augmentés
Trace n°7 : Les liens des n-spaces participent au rythme de l’architecture
Trace n°8 : Des rythmes à la résonance personnalisée des lieux
Trace n°9 : Murs² : des murs aux murmures
(2)Trace n°10 : Du world wide web au local thick web… des hôpitaux dans les musées
Trace n°11 : Trace(r) : un vaisseau entre les toiles
Trace n°12 : L’n-spaces retourne le u et même nu, un lieu devient lien
Trace n°13 : Data center et méta-plateforme urbaine : lieux de stockage de la mémoire ?

(3) Jacques Derrida, Béliers. Le dialogue ininterrompu : entre deux infinis, le poème, Galilée
(4) Eric Cassar, Pour une ar(t)chitecture subtile, HYX

 

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